La ministre est remplacée, vive la ministre !
16/02/2016 | Classé dans : Actualités, Editos 2016, Politiques publiques
Je comptais vous entretenir aujourd’hui du projet de loi Liberté de création, architecture et patrimoine qui aurait dû être entièrement votée par le Sénat. Mais la volonté présidentielle en a voulu autrement : Fleur Pellerin a appris, assise au banc des ministres du palais du Luxembourg, qu’elle n’était plus ministre de la Culture. On a suspendu la séance et il reste donc, à partir de mardi après-midi 198 amendements à examiner.
J’étais loin de trouver Fleur Pellerin désagréable ou incompétente cependant nous n’avions pas grand choses à nous dire, son appétence pour le patrimoine n’étant pas réellement passionnelle, mais je suis sentimental et j’ai pensé que c’était une bien désagréable aventure que celle qu’on lui a infligée et qui ressemble fort à la manière dont Louis XIV ou Louis XV renvoyaient leurs ministres dans leurs terres en leur interdisant d’approcher de moins de cent lieues de Versailles « car tel est notre plaisir ».
Mais le train politique allant plus vite qu’un TGV et la communication aussi précipitamment que la chaîne « I Télé », j’ai fait, comme vous peut être, connaissance de Madame Audrey Azoulay dès le lendemain matin. J’avoue, dans un premier temps avoir été impressionné par le brio avec lequel la nouvelle ministre a repris quelques heures après sa nomination le dossier d’un projet de loi en discussion au Sénat, marquant une aisance totale devant les membres de la Haute Assemblée. Cependant, m’en ouvrant à un ancien de l’ENA avec lequel je déjeunai peu après, cet expert me dit que cet exercice était le b.a. ba de que l’on apprenait dans cet établissement et que n’importe lequel des hauts fonctionnaires eut été capable de cet exercice de haute école.
Ainsi, si j’en crois du moins la « classe politique », il ne se serait rien passé d’important pour la culture et le patrimoine la semaine dernière. Permettez-moi de ne pas être tout à fait de cet avis. D’une part, le dialogue courtois mais ferme entre les deux rapporteurs sénatoriaux, Jean-Pierre Leleux et Françoise Ferat, soutenus par la présidente de la commission de la Culture Madame Morin Desailly et le ministère de la culture avait produit quelques rapprochements propres à réjouir les associations du patrimoine qui plaidaient depuis longtemps pour un consensus politique. Ensuite, la commission de la culture, dont le texte conformément à la réforme constitutionnelle de 2008 était celui qu’examinait la semaine dernière le Sénat, s’était réellement lancée dans une importante réécriture du projet gouvernemental, peu amendé par l’Assemblée nationale.
En cet état du débat, on attendait Madame Azoulay au tournant.
Elle a fait deux interventions intéressantes :
Elle a dans un premier temps, demandé que la dénomination que la commission du Sénat voulait donner au nouveau périmètre protégé : « le Site Patrimonial Protégé » soit abrogée au profit de celle choisie par son prédécesseur, qui paraissait y tenir énormément : « la cité historique ».
Elle a clairement indiqué que ni l’une ni l’autre de ces appellations n’étaient satisfaisantes et qu’il serait bon, pendant la navette d’en trouver une troisième faisant consensus. Madame Ferat ayant alors expliqué que, pour discuter pendant la navette,
il fallait d’abord voter la proposition du Sénat, faute de quoi la « cité historique », baptisée dans les mêmes termes par les deux assemblées ne pourrait plus changer.
La ministre, fair-play, a alors retiré son amendement. Le débat sémantique pourra donc continuer.
Ensuite, furent évoqués deux des points les plus importants du chapitre patrimoine :
- le texte sur la réforme des abords de monuments historiques
- – la création par la commission sénatoriale d’un nouveau périmètre destiné à occuper la place jusqu’ici occupée par les ZPPAUP et AVAP[i], le PLU patrimonial étant quant à lui renvoyé dans les ténèbres extérieurs.
Ces deux questions seront évoquées ce mardi 16 février mais si l’on en croit le discours de Madame Azoulay le gouvernement maintiendra un périmètre de 500 mètres réellement contrôlé par l’Etat et la proposition sénatoriale destinée à remplacer ZPPAUP et AVAP devrait, pour l’essentiel[ii] être admise.
La semaine qui s’ouvre sera bien intéressante : on verra si une nouvelle page s’ouvre entre la rue de Valois et celles des associations du patrimoine qui avec les Villes et Pays d’Art et d’Histoire ont soutenu les mêmes principes.
A très vite !
Alain de La Bretesche
Président de Patrimoine-Environnement
Administrateur du Mouvement associatif (Conférence Permanente des Coordinations Associatives)
Administrateur d’’Europa Nostra
[1] Une aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP ou AMVAP)
est, en droit de l’urbanisme français, une servitude d’utilité publique ayant pour objet de « promouvoir la mise en valeur du patrimoine bâti et des espaces »
Les AVAP ont été instituées par la loi Grenelle II du 12 juillet 2010 en remplacement des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP)
Une AVAP peut être établie par l’assemblée délibérante d’une commune, de plusieurs ou d’un établissement public de coopération intercommunale s’il est compétent en matière d’urbanisme.
[2] La transformation des ZPPAUP en AVAP est considérée par certains défenseurs du patrimoine, comme Alexandre Gady, président de la SPPEF, comme une régression dans le droit de protection du patrimoine4. L’association des Vieilles maisons françaises critique également la disposition, dénonçant un système de protection « plus que minimal »5.